mardi 4 juin 2013

Antonio Muñoz Molina aux Assises Internationales du Roman 2013 : Dans le grand art de l’écriture…




3 juin 2013. La septième édition des Assises Internationales du roman s’est achevée hier soir aux Subsistances à Lyon. Après trois mois d’intense préparation, d’extase littéraire et de dialogue imaginaire avec Antonio Muñoz Molina, la rencontre tant attendue avec ce grand écrivain a bel et bien eu lieu, et l’heure est aujourd’hui au souvenir.
Antonio Muñoz Molina, Andalou vivant entre Madrid et New York, est à la fois romancier, journaliste, essayiste, blogueur et, en outre, membre de la Real Academia Española. Amoureux des mots, ses réflexions sont toujours teintées de poésie ; son écriture est foisonnante, libre, saisissante, et, en même temps, d’une extrême lucidité. Ses écrits naissent de ce qui « l’émeut, le passionne ou l’indigne ». Comme je m’aventurai à le lui dire lors de sa venue à la Médiathèque Aimé Césaire de Bourg-en-Bresse, le lire, c’est à la fois savourer sa maîtrise de l’art de l’écriture et savourer sa connaissance extrêmement fine de l’histoire, c’est se souvenir à chaque page du bonheur, du privilège d’être lecteur… Antonio Muñoz Molina défend lui-même cette position privilégiée du lecteur, affirmant dans un article récemment publié dans El País que « lire procure davantage de bonheur qu’écrire ». Et quel bonheur, en effet, de l’entendre nous lire, à nous autres lecteurs présents à la médiathèque, un passage de son œuvre Sefarad (« Quien espera »)…

Actuellement plongé dans les correspondances de Flaubert, l’écrivain a exprimé son regret face à la disparition du désir de communiquer par lettres; « personne n’écrit plus de lettres aujourd’hui », « nous ne gardons plus de traces des moments forts que nous vivons », répétait-il avec nostalgie, évoquant les innombrables lettres qu’il écrivait, lui-même, lorsqu’il était adolescent. Deux jours plus tard, aux Subsistances, au beau milieu d’un dialogue passionnant avec Tzvetan Todorov sur notre compréhension de l’histoire, Antonio Muñoz Molina consacre sa fascination pour Flaubert en le citant : « Que je crève comme un chien plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est pas mûre ». Pour répondre à ce légitime désir de lutter contre l’urgence de l’écriture et de la parole, et à défaut de laisser une trace manuscrite de ma rencontre avec l’auteur, en voici donc une trace « numérique », virtuelle, mais bien cousue de mots… 

Rendre les personnages fictifs plus réels en les mêlant à des personnages réels ; transmettre une histoire qui lui a été transmise (la guerre civile espagnole) ou transposer dans l’écriture une histoire vécue (la transition démocratique en Espagne dans les années 1980, période « d’ivresse collective », pour reprendre ses propres mots) ; faire de la mémoire l’essence même de l’histoire ; contrôler l’écriture de l’histoire tout en laissant l’écriture de la fiction se dérouler instinctivement, et permettre ainsi à la littérature de dire ce que l’histoire ne peut pas dire ; plonger avec finesse dans la psychologie de l’amour fou… Autant de défis que parviennent à relever avec intelligence les romans d’Antonio Muñoz Molina. L’écrivain perçoit le roman non seulement comme un genre noble, mais aussi comme un genre « démocratique », qui « donne la parole à tout le monde », aux personnages réels comme aux personnages fictifs, à son histoire personnelle comme à l’histoire universelle, celle des arts, de la littérature, mais aussi des conflits, des violences et des désillusions.

Que les hispanistes lisent son dernier essai, non traduit en Français pour le moment, Todo lo que era sólido, pour saisir le poids de la mémoire dans son écriture : « Lo que recordamos es como si no hubiera existido. Lo que ahora nos parece retrospectivamente tan claro era invisible mientras sucedía » (que je m’aventure à traduire pour vous: « Nous nous souvenons des choses comme si elles n’avaient pas existé. L’événement qui nous paraît rétrospectivement si évident aujourd’hui était invisible au moment même où il se produisait»). Lisez son premier roman, Beatus Ille, illustration parfaite de l’art de construire un roman.  Lisez L’hiver à Lisbonne, Beltenebros, ou encore Pleine Lune, et vous redécouvrirez le roman noir. Lisez En l’absence de Blanca, et vous saurez, peut-être, définir la passion amoureuse. Voyagez dans la diversité des arts et dans les rues de Manhattan avec Fenêtres de Manhattan… Lisez son dernier roman, Dans la grande nuit des temps, et vous percevrez toute la richesse de son écriture, capable de susciter à la fois souffrance, culpabilité et rêverie.

Antonio Muñoz Molina nous a offert un moment d’échange généreux, émouvant, exaltant. Parmi ses paroles engagées et passionnées, soulignons la défense de l’instruction publique, l’évocation poignante de l’histoire espagnole, encore brûlante, le thème omniprésent de la récupération du passé par la littérature, et la multiplication des références aux artistes et écrivains qui l’inspirent. Et c’est bien dans l’intertextualité et dans la correspondance entre les arts que se construit son œuvre.

3 juin 2013, donc. Le souvenir est beau et stimulant, les pensées vagabondent entre Mágina et Madrid, l’imagination puise dans les vers de Pedro Salinas, de Federico García Lorca ou encore d’Antonio Machado, et le désir de rendre hommage à un pays oublié par les démocraties européennes il y a si peu de temps est plus fort que jamais… Merci à la Villa Gillet pour ces formidables instants littéraires, et merci à toute l’équipe de la Médiathèque Aimé Césaire pour son organisation et sa grande générosité.

                                                                                                                                              Marina Z.

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