3 juin 2013. La septième édition des Assises Internationales du roman s’est achevée hier soir aux Subsistances à Lyon. Après trois mois d’intense préparation, d’extase littéraire et de dialogue imaginaire avec Antonio Muñoz Molina, la rencontre tant attendue avec ce grand écrivain a bel et bien eu lieu, et l’heure est aujourd’hui au souvenir.
Antonio
Muñoz Molina, Andalou vivant entre Madrid et New York, est à la fois romancier,
journaliste, essayiste, blogueur et, en outre, membre de la Real Academia
Española. Amoureux des mots, ses réflexions sont toujours teintées de
poésie ; son écriture est foisonnante, libre, saisissante, et, en même
temps, d’une extrême lucidité. Ses écrits naissent de ce qui « l’émeut, le passionne ou l’indigne ».
Comme je m’aventurai à le lui dire lors de sa venue à la Médiathèque Aimé Césaire de Bourg-en-Bresse, le lire, c’est à la
fois savourer sa maîtrise de l’art de l’écriture et savourer sa connaissance
extrêmement fine de l’histoire, c’est se souvenir à chaque page du bonheur, du
privilège d’être lecteur… Antonio Muñoz Molina défend lui-même cette position
privilégiée du lecteur, affirmant dans un article récemment publié dans El País que « lire procure davantage de bonheur qu’écrire ». Et quel
bonheur, en effet, de l’entendre nous lire, à nous autres lecteurs présents à
la médiathèque, un passage de son œuvre Sefarad
(« Quien espera »)…
Actuellement
plongé dans les correspondances de Flaubert, l’écrivain a exprimé son regret
face à la disparition du désir de communiquer par lettres; « personne n’écrit plus de lettres aujourd’hui »,
« nous ne gardons plus de traces des
moments forts que nous vivons », répétait-il avec nostalgie, évoquant
les innombrables lettres qu’il écrivait, lui-même, lorsqu’il était adolescent.
Deux jours plus tard, aux Subsistances,
au beau milieu d’un dialogue passionnant avec Tzvetan Todorov sur notre
compréhension de l’histoire, Antonio Muñoz Molina consacre sa fascination pour
Flaubert en le citant : « Que
je crève comme un chien plutôt que de hâter d’une seconde ma phrase qui n’est
pas mûre ». Pour répondre à ce légitime désir de lutter contre
l’urgence de l’écriture et de la parole, et à défaut de laisser une trace
manuscrite de ma rencontre avec l’auteur, en voici donc une trace « numérique »,
virtuelle, mais bien cousue de mots…
Rendre
les personnages fictifs plus réels en les mêlant à des personnages réels ;
transmettre une histoire qui lui a été transmise (la guerre civile espagnole) ou
transposer dans l’écriture une histoire vécue (la transition démocratique en
Espagne dans les années 1980, période « d’ivresse collective », pour reprendre ses propres
mots) ; faire de la mémoire l’essence même de l’histoire ; contrôler
l’écriture de l’histoire tout en laissant l’écriture de la fiction se dérouler
instinctivement, et permettre ainsi à la littérature de dire ce que l’histoire
ne peut pas dire ; plonger avec finesse dans la psychologie de l’amour
fou… Autant de défis que parviennent à relever avec intelligence les romans
d’Antonio Muñoz Molina. L’écrivain perçoit le roman non seulement comme un
genre noble, mais aussi comme un genre « démocratique », qui « donne la parole à tout le monde »,
aux personnages réels comme aux personnages fictifs, à son histoire personnelle
comme à l’histoire universelle, celle des arts, de la littérature, mais aussi
des conflits, des violences et des désillusions.
Que les hispanistes lisent son dernier essai, non traduit en Français pour le moment, Todo lo que era sólido, pour saisir le poids de la mémoire dans son écriture : « Lo que recordamos es como si no hubiera existido. Lo que ahora nos parece retrospectivamente tan claro era invisible mientras sucedía » (que je m’aventure à traduire pour vous: « Nous nous souvenons des choses comme si elles n’avaient pas existé. L’événement qui nous paraît rétrospectivement si évident aujourd’hui était invisible au moment même où il se produisait»). Lisez son premier roman, Beatus Ille, illustration parfaite de l’art de construire un roman. Lisez L’hiver à Lisbonne, Beltenebros, ou encore Pleine Lune, et vous redécouvrirez le roman noir. Lisez En l’absence de Blanca, et vous saurez, peut-être, définir la passion amoureuse. Voyagez dans la diversité des arts et dans les rues de Manhattan avec Fenêtres de Manhattan… Lisez son dernier roman, Dans la grande nuit des temps, et vous percevrez toute la richesse de son écriture, capable de susciter à la fois souffrance, culpabilité et rêverie.
Antonio
Muñoz Molina nous a offert un moment d’échange généreux, émouvant, exaltant.
Parmi ses paroles engagées et passionnées, soulignons la défense de
l’instruction publique, l’évocation poignante de l’histoire espagnole, encore
brûlante, le thème omniprésent de la récupération du passé par la littérature,
et la multiplication des références aux artistes et écrivains qui l’inspirent.
Et c’est bien dans l’intertextualité et dans la correspondance entre les arts
que se construit son œuvre.
3
juin 2013, donc. Le souvenir est beau et stimulant, les pensées vagabondent
entre Mágina et Madrid, l’imagination puise dans les vers de Pedro Salinas, de
Federico García Lorca ou encore d’Antonio Machado, et le désir de rendre
hommage à un pays oublié par les démocraties européennes il y a si peu de temps
est plus fort que jamais… Merci à la Villa
Gillet pour ces formidables instants littéraires, et merci à toute l’équipe
de la Médiathèque Aimé Césaire pour son organisation et sa grande générosité.
Marina
Z.
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